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1 octobre 2006 7 01 /10 /octobre /2006 15:46

Après avoir dégagé la partie jardin, nous nous attaquâmes aux grottes. Elles étaient encombrées de mille déchets accumulés depuis près de cinquante ans : paille, gravats, caisses, vieux engins agricoles, machines abandonnées, le tout recouvert de fientes et de poussières. Le sol consistait en une énorme dalle de béton et de galets de la Durance coulée en 1920 avec de chaque côté des rigoles qui servaient à évacuer le jus de macération des cerises. L’endroit, rappelons-le , était connu à Lauris comme « l’usine à cerises » : se préparaient les fruits avant d’être expédiés sur Apt pour y être confits. Devant l’utilisation de machines à dénoyauter vers les années 50, l’usine fut abandonnée et passa entre les mains de différents propriétaires qui ajoutèrent leur couche de détritus.

 

 

 

La dalle semblait encore en excellent état et il nous fut conseillé de la couvrir d’un carrelage «  pour faire plus propre ! ». Or ayant déjà découvert un four à potier et un pressoir, la question ne se posait plus et la curiosité devint la plus forte : il fallait faire sauter la dalle pour savoir ce qui se cachait dessous. Ce ne fut pas une mince entreprise même avec un tracto-pelle. Les anciens faisaient du solide ! Enfin dans un craquement effrayant, sous les coups de butoir de l’engin, elle céda et cassa comme du verre. On enleva plus d’un mètre de sédimentation historique, entassement de terre, de pierres et d’objets hétéroclites jetés en vrac pour combler.
Un fait était intriguant : l’humidité de la grotte inférieure était importante et les parois étaient recouvertes de mousse verdâtre. Il y avait ainsi une quantité d’eau qui imprégnait le rocher. D’où venait-elle ? Et comment l’évacuer et la canaliser ?

 

 

 

 


Plan général du système d'eau dans la grotte : mines d'eau, canalisation.

 

La solution s’offrit d’elle-même car elle était enfouie sous la dalle. En effet nous parvînmes au niveau du rocher qui était celui de l’ère paléolithique et aussi celui de l’époque romaine. La découverte du four entièrement taillé dans la roche et du pressoir indiquait qu’il y avait à cet endroit une ferme. Elle avait besoin d’eau pour l’irrigation et pour un usage personnel des habitants de la ferme. Pourrait-elle venir de la grotte ?

 

En arrivant au niveau du rocher, tout un système d’eau apparut à nos yeux étonnés. Se dessinaient nettement  des canaux, et des prises d’eau dans le rocher : nous avions mis à jour de véritables mines d’eau telles qu’elles avaient été conçues à l’époque gallo-romaine. 

 

 

Canalisation taillée dans le rocher (ce qui préserva le système).

 

 

 

Mines d'eau : fosse taillée dans le rocher pour récupérer les suintements du rocher. 

 
D’abord une explication géologique : le luberon est fait d’une roche tendre et poreuse appelée safre. Toute la base sert ainsi d’énorme réservoir aux eaux d’infiltration et de pluie du nord qui par capillarité se déplacent du nord vers le sud. Lauris est situé au sud et au pied du luberon, à hauteur de la fascinante éponge qu’est cette montagne. Les Romains connaissaient le principe du suintement dû à la condensation de l’humidité en fines gouttes d’eau qui glissaient le long des parois. Phénomène que l’on retrouve dans les grottes, cavités des montagnes. Il s’agissait alors de capter ces gouttes, de les canaliser et de les stocker dans un bassin pour pouvoir l’utiliser. C’est ce qui apparut sous nos pieds : des fosses creusées dans le rocher pour intensifier l’accumulation de l’humidité, tracé des rigoles au pied des parois pour récolter le suintement, percée des trous pour extraire cette abondante humidité. Un total de sept mines d’eau qui recueillent un grande quantité d’eau : environ 2 mètres cubes par heure – soit 2 000 litres. Facile à calculer par la dimension du bassin de rétention : six mètres par cinq mètres sur plus d’un mètre de profondeur. Il se remplit en 15 heures environ !

 

 

Bassin de 32m² coupé au 16ème siècle par le lavoir des pestiférés.

 

Ce bassin se retrouve mais en plus grand dans les vestiges du Glanum : taillé dans le rocher avec des marche qui permettent d’y accéder. Nous retrouvons le même concept dans ce bassin des « Jardins de Magali ». A coups de cuillers, de truelles, une équipe familiale dégagea les canalisations du sable, de la glaise, de la terre et des pierres qui les encombraient. Leur profondeur pouvait atteindre près de 70 cm, ce qui indiquait que à l’époque romaine, les suintements étaient beaucoup plus importants et la profondeur des canalisations montre que dix fois plus d’eau pouvait y couler. De plus plusieurs canalisations moins profondes ( 30 centimètres) toutes en arrêtes de poisson donnant directement sur la canalisation principale, étaient la preuve qu’elles aussi apportaient de l’eau au système. Elles sont à présent archi-sèches. D’où moins d’humidité dans le rocher. Cela s’explique par le fait que le Luberon est truffé de forages qui absorbent une grande quantité de l’humidité naturelle et au nord les cours d’eau ont été détournés par le canal de Provence et par divers barrages.

 

A l’intérieur de la grotte se trouvait l’emplacement d’un pressoir, peut-être celui retrouvé enterré dans la cour dont nous avons parlé. Les dimensions correspondent. Lorsque la presse se faisait, l’huile coulait dans un canal de décantation alimenté par le système d’eau à l’aide de petites trappes qui faisaient monter l’eau puis une fois l’huile écopée, les eaux usées étaient évacuées par un ingénieux système. Les eaux usées passaient par un aqueduc au-dessus de l’eau propre pour se déverser directement dans les champs. Deux systèmes se superposaient : eau potable et eaux usées.

 

 

Ensemble du réseau mis sous verre. Au fond, emplacement du pressoir.  


Enfin la citerne , environ 1m 50 de diamétre et profonde d’un mètre cinquante qui était constamment alimenté d’eau fraîche par le canal principal et une pente raide remplissant la citerne avant le grand bassin. Le paysan pouvait puiser l’eau qu’il voulait : elle était toujours abondante, fraîche ( 12 degrés) et limpide.

 

Après des siècles d’abandon et d’accumulation de détritus de toutes sortes ( 1m60 ) , dés qu’il fut nettoyé, le système se remit à fonctionner, sans pompe, sans électricité, sans moyens mécaniques : juste un phénomène naturel que les Romains surent si bien exploiter !

 

 

Evacuation de l'eau par le bassin aux poissons (débit 2m² par heure).  

 

 

Grande question : l’eau est-elle potable ? Il y a cent ans j’aurais dit oui sans hésitation. Elle a été bue tant que le système marchait. Mais la société dans laquelle nous vivons – entière création de l’homme qui a engendré lois, règlements, organismes vérificateurs, contrôles à l’infini – nous interdit de consommer cette eau sans mille agréments d’organismes officiels. On pourrait mourir à présent de soif à côté du système ! 

 

 

Quand j’étais enfant en vacances dans le Jura , les copains et moi buvions aux ruisseaux qui sautillaient de la montagne. Pourrions-nous encore le faire de nos jours ? C’est le problème que nous laissons à nos enfants !!


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commentaires

P
J'apprécie votre blog , je me permet donc de poser un lien vers le mien .. n'hésitez pas à le visiter. <br /> Cordialement
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